Harmoniques (Mars 2005) 
            La maîtrise du jeu   instrumental nécessite de nombreuses heures de travail. Ce sont beaucoup de   gestes souvent rapides et de faibles amplitudes, mille fois répétés puis   automatisés permettant ainsi d'avancer vers plus de complexité et d'intégrer de   nouvelles données pour anticiper sur son jeu. À un niveau professionnel le   musicien devient expert dans l'usage de lui-même avec son instrument. Il sait   jouer des couleurs, de  la dynamique du son faisant la grâce d'une soirée de   concert.  
 
            Cette aisance d'apparence si   naturelle est l'expression d'apprentissages qui devront sans cesse et selon les   circonstances finement s'ajuster à une acoustique ou une hygrométrie fluctuante,   à la dureté d'un clavier, l'exiguïté d'une fosse d'orchestre ou tout simplement   à des conditions de fatigue. 
            Le musicien est un équilibriste   sur le fil du temps. Il progresse sur sa ligne mélodique avec rigueur et   détermination mais aussi avec l'écoute sensible lui permettant les variations et   les ajustements qu'imposent l'environnement et le discours. Il lui suffit de si   peu d'écart dans la pression sur les touches ou les clés, si peu de changement   dans la tenue de l'instrument, si peu d'une tension non résolue, si peu mais   tellement de fois répétées sans nécessairement en avoir conscience, pour qu'un   jour, au détour d'un changement mal négocié car mal perçu par sa physiologie et   son système nerveux, les douleurs émergent puis s'installent.   
 
            Encore trop d'instrumentistes   composent avec ces douleurs depuis tellement d'années (et parfois depuis leur   apprentissage initial au conservatoire) qu'elles font partie de leur paysage   sensoriel. Associer intimement notre apprentissage à la tension et à la douleur,   c'est en même temps chroniciser les erreurs de conduite qui les alimentent.   C'est creuser un peu plus le sillon de nos habitudes en s'écartant à chaque fois   des nouvelles dispositions et des engagements pourtant nécessaires aux   changements qu'imposent les mouvements de la musique. En apprenant la douleur en   même temps que le geste, nous créons la dichotomie entre faire et sentir. Nous   nous éloignons un peu plus de cette part sensible de nous-même source précieuse   d'inspiration pour un jeu expressif et un geste musical   abouti.
 
            Pourtant, les douleurs   dans la pratique d'un instrument ne sont pas une fatalité. Il est imprudent de   s'y résigner et toujours instructif de se demander " qu'est-ce qui dans l'usage   de moi-même et ma relation avec l'instrument me font plus ou moins ressentir   cette douleur ? Quelle est l'incidence sur mon souffle, sur mon agilité   digitale, sur mon son, de cette douleur ? 
 
            L'élève musicien est entraîné à   développer son sens auditif. Cette éducation de l'écoute et de la discrimination   auditive est enseignée dès le début des études. Ecouter ne serait-il qu'une   affaire d'oreille ? La Musique parle au corps et à l'esprit; elle nous touche à   tous les niveaux de perception. C'est l'organisme tout entier qui est oreille   musicale. Son apprentissage est mathématique de la pensée lorsqu'elle se joue de   comparaisons, de combinaisons, de constructions. Elle développe et harmonise   notre intelligence. Elle amplifie et fait vibrer notre vie sensible et fait   danser nos consciences. La musique est la vie. 
            Alors quelle est la place du   corps vivant dans l'enseignement de la musique au conservatoire ? A quel moment   de l'éducation musicale et comment sont enseignés les facultés de discrimination   kinesthésique, la perception de notre propre mouvement ? Comment   considérons-nous dans la pratique de cet art la réalité de notre être somatique,   champ incontournable de réalisation de nos agissements ? 
            L'intelligence musicale et la   dextérité corporelle que nécessite la pratique maîtrisée d'un instrument ne sont   pas uniquement l'apanage des meilleurs, un hasard de la sélection naturelle ou   un don du ciel. C'est un fait avéré : il existe des corrélations entre les   mouvements du corps du musicien et la production sonore. La musique vivante   s'exprime avant tout par le corps et c'est aussi par lui qu'elle se dénature.   Pourtant, dans les conservatoires français ces compétences ne sont encore   enseignées que du bout des doigts ou du bout des lèvres et ce ne sont pas les   quelques repères théoriques et anatomiques qui suffisent à éduquer l'art de   l'usage de soi avec son instrument.  
            "Celui qui mêle avec le plus de   beauté la gymnastique à la musique, et dans la meilleure mesure les applique à   son âme, celui-là est parfait musicien et parfait harmoniste, bien plus que   celui qui règle entre elles les cordes d'un instrument."  
            Platon déjà, nous éveillait à   l'importance d'entretenir une relation harmonieuse entre notre corps et notre   âme dans l'art de la pratique musicale. Plus question dès lors d'ignorer   l'unicité de notre être somatique dont aucune des fonctions ne peut être séparée   des autres sans altérer l'intégrité de l'ensemble. Associer à l'enseignement de   la musique les principes d'un apprentissage organique, respectueux de notre   physiologie, de nos rythmes et de nos capacités évolutives d'intégration des   connaissances, représente un atout inestimable pour tout musicien désireux de   progresser et pour le professionnel voulant après tant d'années d'entraînement   s'assurer une carrière professionnelle prolongée. 
            S'agissant de la musique, Maria   Calas nous rappelait que nous sommes tous des apprentis. L'ampleur de la   recherche est sans équivalent mais l'entreprise est réjouissante. Comment   préserver notre sensibilité, notre potentiel créatif et continuer d'apprendre ?   Comment entreprendre cet apprentissage organique, comment déceler les éléments   nécessaires à son évolution et ouvrir de nouveaux chemins de perfectionnement ?   
 
            Bien sûr les éléments qui composent la musique sont   complexes et  font appel à des notions aussi différentes que le rythme, la   mélodie, l'harmonie, le timbre des instruments, les mouvements hautement   différenciés des doigts etc. Mais faisons confiance à notre cerveau ! Savez vous   que les progrès de l'imagerie médicale enregistrant le champ magnétique provoqué   par l'afflux d'oxygène que nécessite l'activité de certaines parties du cerveau   ont permis d'observer sa grande malléabilité ? Ainsi le corps calleux des   musiciens qui est en quelque sorte la courroie de transmission entre les deux   hémisphères est 15% plus gros chez les musiciens expérimentés que dans le reste   de la population ! Chez le néophyte, la reconnaissance du contour mélodique   s'effectue au niveau de l'hémisphère cérébral droit quand chez le musicien   averti il y a une activation plus importante de l'hémisphère gauche, siège de   la reconnaissance affinée des intervalles et des   accords (Le Monde de la Musique. Mars 2003). Les aires cérébrales en activité forment une mosaïque d’ensembles inter   reliés d’un hémisphère à l’autre, d’une aire à l’autre et dont les liens et les   espaces se réaménagent au fur et à mesure des nouvelles acquisitions. Sur la   base d'un patron génétique nous nous adaptons au milieu dans lequel nous   évoluons grâce aux interactions sensorielles. Notre mémoire elle-même se   construit aussi sur l’expérience sensible. 
 
            Le cerveau humain est donc un   immense réseau câblé extrêmement sensible et  dialoguant avec le tout en   mouvement dans des relations réciproques. Ce tout en mouvement, c'est le   mouvement du corps qui nous le rend perceptible et qui l'anime. C'est le   mouvement indispensable à la vie et qui nous fait prendre conscience de ce que   nous sommes. Prendre conscience, c'est entrer en relation étroite avec ce qui   nous meut, nous émeut et nous met en relation avec le monde extérieur. Le   mouvement est l'information (littéralement ce qui se forme à l'intérieur de moi)   qui est indispensable au cerveau pour se situer et comparer les informations. Il   devient alors capable de s'en saisir pour graduer à chaque fois plus précisément   et en fonction des circonstances l'échelle d'arpenteur de la réalité mouvante de   la connaissance de soi. C'est par et à cause de ce mouvement que nous prenons la   mesure de notre existence et de notre relation à   l'environnement.  
            C'est par ce dialogue avec le   tout en mouvement que le musicien élabore ce tissage complexe d'associations et   de dissociations entre la multitude des informations qu'il crée en lui lorsqu'il   aborde une nouvelle partition. Alors entretenons la mesure : l'apprentissage du   geste instrumental a besoin du corps. "Traversée directement par les désirs et   les pulsions, la musique n'a jamais eu d'autre sujet que le corps" nous rappelle   Jacques Attali. Un corps qui sans résistance ni exagération soit disponible à la   sensation : la sensation des appuis, des efforts musculaires, des déplacements   articulaires, des mouvements des viscères, de la respiration, du son qui stimule   ses oreilles et fait vibrer ses os, résonner les cavités crâniennes; Un corps   support des liens qu'il tisse en lui-même et avec les autres pour avancer dans   son expérience de la musique et dans sa vie. 
            Sentir et porter son attention sur une partie de nous, sur   un fonctionnement particulier à un moment donné, ce n'est pas seulement devenir   capable consciemment de le décrire, de l'exercer ou de le reproduire. C'est   beaucoup plus que ça : c'est donner l'occasion à notre système nerveux de   devenir plus alerte, plus éveillé à ces informations qui remontent des capteurs   sensori-moteurs. À partir du moment où le cerveau est nourri de ces informations   par ces capteurs au niveau des muscles au niveau de la peau, des articulations   et des os, il peut réorganiser l'action. Il devient beaucoup plus actif. La   capacité de porter son attention d'une façon différenciée, subtile et variée   permet véritablement l'engagement d'un dialogue sensori-moteur avec le cerveau.   Ce dialogue est continuel et se nourrit d'un flux ininterrompu d'informations   venant du corps et de cette mémoire globale qui comprend notre système nerveux   central et périphérique, notre système neuro végétatif et nos humeurs. La   plupart du temps notre cerveau n'a pas besoin qu'on lui dise comment   fonctionner. Notre cerveau est un organe extraordinairement complexe mais   efficace qui organise la gestion de l'action. Lorsqu'il reçoit les informations   il gère l'action en fonction de toutes ces données. Le cerveau autorégule   l'action en fonction des données qu'il reçoit en retour. C'est ce qu'on appelle   la boucle sensori-motrice. Pour le musicien une action sans écoute de soi ce   serait un exercice vide de sens, un vrai dialogue de sourd. 
            "Rien à propos de nos schémas de   comportements n'est définitif si ce n'est notre conviction qu'ils le sont"   disait Moshé Feldenkrais. Notre plasticité cérébrale, les évènements inattendus   de notre vie et notre potentiel créatif en témoignent. Notre façon de gérer   l'action au quotidien est en grande partie liée à ce que nous ressentons de   nous-mêmes et l'image que nous avons de nous-mêmes. Chaque fois que nous nous   donnons l'occasion de nous sentir autrement, potentiellement nous enrichissons   cette image que nous avons de nous-même dans toutes sortes d'actions. Nous nous   désaltérons  à nouveau à cette source intarissable d'où jaillit notre   perfectibilité.  
            Rien d'immuable donc à cette   douleur qui étreint et nous empêche dans l'expression musicale si nous savons la   considérer et prendre conscience de ce qui se joue. Rien de problématique à   cette exigence que révèle ce nouveau passage musical. Uniquement une occasion de   s'apprendre autrement, une avancée à renégocier, de nouveaux liens à tisser, de   nouvelles explorations à entreprendre.  
            Nous sommes toujours capables   d'évolutions et d'apprentissages. Nos destinées sont labiles. 
            Ne confondons plus les buts et   les moyens au risque de voir un jour l'élève doué renoncer comme dépourvu face à   la douleur ou à de nouvelles exigences qu'appellent un nouveau répertoire, un   nouveau professeur. Chaque prise de conscience de la qualité de mon engagement   dans mon jeu à l'instrument m'aide à discerner, me donne un degré supplémentaire   de liberté et de solution créatrice. Chaque discernement dans la sensation   m'aide à définir les liens entre le geste et la sonorité et m'ouvre à de   nouvelles qualités expressives du son. La compréhension intellectuelle pourra   puiser son inspiration dans l'expérience en phase avec notre être somatique et   une corporéité pouvant accueillir et amplifier les   vibrations. 
            La forme n'est rien sans le   fond. Ouvrons-nous à cette écoute vigilante qu'offre notre système nerveux,   perception indispensable à tout nouvel apprentissage et considérons qu'il n'y a   pas de mouvement en général mais des façons de bouger particulières compositions   de notre histoire, de notre vécu, de notre culture.
            Osons le dialogue avec le tout en mouvement et entendons   qu'il n'y a pas d'action sans perception. Nous ressentons, nous comparons ce que   nous sentons avec l'objectif que nous avions l'intention d'atteindre et la   représentation que nous en avons, nous agissons pour nous rapprocher de l'état   souhaité, puis sentons de nouveau, comparons et agissons de nouveau et ainsi de   suite. La réalisation de nos gestes dépend de cette boucle perceptivo motrice de   rétroaction continuelle.
            Son bon fonctionnement s'appuie sur une réalité physique :   des capteurs proprioceptifs en bon état de marche, des muscles réactifs dont la   contraction, le relâchement et l'étirement s'ajustent en fonction des mouvements   et des efforts produits et bien sûr un système nerveux vigilant. 
            Créons des conditions d'apprentissages qui autorise cette   vigilance du système nerveux De la bonne relation du musicien avec son   environnement dépendra la bonne relation qu'il aura avec lui-même d'où naîtra ce   dialogue entre ses sensations et ses actions : Il installera des positions de   jeu stables dans les positions assises et debout et s'assurera d'un bon   environnement ergonomique (réglage du siège, éclairage suffisant et bien   orienté, réglage du pupitre). Bien entendu ces adaptations suivront l'élève dans   sa croissance et l'enseignant conseillera son élève sur les adaptations   techniques possibles (les accessoires ergonomiques, les adaptations de   l'instrument à la morphologie de l'élève).  
            Respectons la fatigue comme le signal que nous donne notre   organisme qu'il veut cesser l'activité. Elle n'est pas uniquement liée à la   répétition du mouvement mais aussi au surcroît d'attention que nécessite une   nouvelle action et bien sûr au stress. D'où la nécessité de varier les approches   de la musique et de l'instrument afin de ne pas surcharger le système nerveux et   le système moteur ce qui risquerait de créer des phénomènes de compensation en   particulier chez le débutant. Ainsi une technique fragile, des entraînements   intensifs avec des temps de récupération insuffisants c'est-à-dire de moins de   dix minutes par heure de travail, nous imposent des mauvais usages, de mauvais   conditionnements, des gestes de compensation, qui vont à leur tour entraîner des   syndromes douloureux. 
            L'apprentissage du geste libèrera un fonctionnement   naturel, respectueux de la physiologie plutôt qu'imposé du dehors. Notre   démarche n'est pas de créer de nouveaux conditionnements qui pourraient certes,   peut-être répondre sur l'instant à une difficulté. Nous désirons au contraire   nous rendre plus autonome dans nos apprentissages. En créant de nouveaux   conditionnements nous prendrions aussi le risque de créer de nouvelles entraves   pour l'avenir si les conditions venaient à changer… ce qui est inévitable ! On   n'imagine difficilement qu'il vous soit possible de jouer toujours dans les   mêmes conditions de présence ou de fatigue, dans le même environnement   acoustique,  toujours de la même façon un même répertoire devant un même   publique !  
            La stabilité ne se trouve pas en   créant des configurations psychologiques et physiques qui nous figent un peu   plus. Il ne s'agit pas de postures mais plutôt d'actures, de positions   d'équilibre dynamique qui contiennent toutes les libertés de mouvement, cette   part de potentiel de mouvement. 
            "Tout l'art est de prendre la   peine de n'en point prendre" disait Rameau.
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            La lettre du musicien (n°234 - Mars 2000)
            La méthode Feldenkrais® pour le musicien
            Chaque instrument est   source de contraintes venant se superposer aux capacités ou aux limitations   physiques de son propriétaire. Parfois l'instrumentiste souffre en sourdine de   toute une gamme de maux : douleurs rachidiennes, tendinites, contractures   l'accompagnent depuis si longtemps qu'elles font partie de son paysage sensoriel   avec lequel il compose. 
              
              Prévenir plutôt que guérir :
              
              La méthode   Feldenkrais® permet de développer la prise de conscience de soi par le mouvement   afin de se découvrir de nouvelles capacités et de nouvelles options   stratégiques. L' apprentissage de l'Etre humain pour parler, penser, percevoir   et se mobiliser, s'élabore au fil des années et de son expérience. Chaque   individu règle sa conduite physique et psychique sur l'image qu'il s'est faite   de lui-même. Cette image de soi, vécue par chacun de nous comme étant la plus   "naturelle" est donc surtout la plus habituelle et peut parfois rendre difficile   un nouvel apprentissage, une expression musicale différente ou nuancée. Pour   Moshe Feldenkrais le mouvement est la base de la prise de conscience de ce que   l'individu ressent en lui et il représente un excellent accès au fonctionnement   du système nerveux et par conséquent au schéma corporel. 
              
              Ce schéma   corporel est particulièrement riche et différencié chez le musicien virtuose,   surtout au niveau de la main dont la représentation mentale (la main image)   dépasse les capacités physiques habituelles de la main du non-musicien (main   objet). La différence entre ces deux mains n'est pas dans "l'objet main", en   tout point identique, mais dans leurs capacités fonctionnelles, la manière de   s'en servir. Or "une main insensible, on ne s'en sert pas, même si elle possède   une bonne motricité" disait Jean-Hubert Levame chirurgien de la main. La   "Méthode Feldenkrais®" actualise cette représentation de soi en mouvement et   fait reculer un peu plus les limitations dues à nos habitudes de fonctionnement,   nos façons habituelles de sentir.
              
              Face au praticien Feldenkrais®, l'instrumentiste n'a pas   forcément conscience de la façon dont il bouge mais plus souvent conscience à   travers les douleurs et les difficultés d'interprétation, des conséquences de   cette façon de faire. 
              
            La méthode Feldenkrais® se propose d'étudier avec   lui sa propre façon d'être en relation avec son instrument. Plutôt que de partir   des impossibilités de celui-ci à faire autrement et mieux (car il suffirait   alors de le lui dire pour que celui-ci se "corrige" définitivement) cette   pédagogie l'invite à partir des chemins possibles, des compétences déjà   acquises, pour "s'apprendre" une meilleure façon de fonctionner. Les   explorations de mouvements, de nouvelles sensations sont induites par le toucher   du praticien (séance individuelle d'intégration fonctionnelle® ) ou guidées par   la voix (séance collective de prise de conscience par le mouvement® ). 
            Rapidement les nouvelles   coordinations expérimentées dans le respect de l'équilibre physiologique et   biomécanique sont intégrées (et non pas imprégnées à force d'entraînement ou   d'imitation). Plutôt qu'un travail postural, cette recherche des coordinations   dynamiques associées au son et aux exigences de l'instrument va développer chez   le musicien sa capacité d'organiser et moduler son geste en fonction du résultat   sonore et à contrôler toutes les tensions musculaires parasites pendant le jeu   instrumental. Cette qualité de souplesse et de plasticité neurologique,   stimulées par le plaisir a expérimenter de façon méthodique son propre   fonctionnement, rendent le musicien autonome par rapport aux contraintes   professionnelles telles que par exemple l'exiguïté dans les fosses d'orchestre,   les sièges inadaptés, tout en gardant une ergonomie du geste. Il peut s'adapter   sans rien sacrifier aux exigences de la musique, de la technique instrumentale,   du son. Bien au contraire, quand le mouvement est fluide et sans effort inutile,   le musicien est alors libre et bien plus centré sur l'expression artistique. 
                  
            Un autre aspect non négligeable de la pratique de la méthode   Feldenkrais® par l'instrumentiste qui est aussi souvent enseignant, est qu'il   saura mieux voir chez l'élève ses difficultés et pourra lui proposer des chemins   d'apprentissage adaptés pour un meilleur jeu avec l'instrument. Ce travail   l'aidera non pas à changer ce qu'il est mais "comment il est" avec lui-même et   transformera une mauvaise habitude, une impasse en carrefour, en choix possibles   pour exprimer pleinement l'intention musicale. 
             
             
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            Chant Choral Magasine (juin 1999)
            LA METHODE FELDENKRAIS® ET LE CHANT 
             
            Le chanteur développe une technique vocale qui pour être   efficace s'appuie sur une capacité à finement utiliser et coordonner l'activité   musculaire. 
            En amont, il lui est donc nécessaire de développer une   perception et une connaissance accrue de son premier instrument qu'est le corps. 
            La méthode Feldenkrais® n'est pas une technique supplémentaire   se substituant au cours de chant. Cette approche originale permet de développer   la prise de conscience de soi par le mouvement en prenant en considération la   coordination neuromotrice dans son unité fonctionnelle afin de se découvrir de   nouvelles capacités et de nouvelles options stratégiques. 
            Moshe Feldenkrais (1904-1984 ) a développé une démarche   méthodique et structurée qui s'intéresse au corps vivant, au corps sujet plutôt   qu'au corps objet, à l'expérience vécue de la personne dans son intégralité et   dans sa relation à l'environnement. 
            En effet selon lui, l'être humain possède à la naissance un   système nerveux immature où pour une grande part l'expérience individuelle   conditionne son fonctionnement futur. Ainsi chaque individu règle sa conduite   physique et psychique sur l'image qu'il s'est fait de lui-même au hasard de   l'évolution, de l'éducation, de son histoire personnelle. Cette image de soi,   vécue par chacun de nous comme étant la plus "naturelle" est donc surtout la   plus habituelle et peut parfois rendre difficile un nouvel apprentissage, une   expression vocale différente ou nuancée. 
            En contre partie l'homme possède une grande faculté   d'apprendre, d'acquérir des conduites nouvelles adaptées à la réalité du moment.   Pour Moshe Feldenkrais le mouvement est la base de la prise de conscience de ce   que l'individu ressent en lui et il représente un excellent accès au   fonctionnement du système nerveux. Le mouvement est donc à la fois révélateur du   fonctionnement du système nerveux, mais aussi un moyen d'action pour de nouveaux   apprentissages. Il a donc décliné son travail selon deux approches que sont les   séances collectives de "prise de conscience par le mouvement®" et les séances   individuelles "d'intégration fonctionnelle®". 
            Considérant que le chant nécessite une participation générale   du corps, une technique vocale qui ne s'adresserait qu'à une partie du corps   peut devenir source de compensations, de forçages, de micro traumatismes. 
            Tous les mouvements proposés par le praticien de la Méthode   Feldenkrais® et guidés   par sa voix seront autant de situations où les gens vont apprendre sans pour   autant imiter l'enseignant. Ces mouvements sans cesse différents pour solliciter   la curiosité et inviter à une attention mobile sont autant de questions pour le   chanteur sur sa dynamique d'articulation, son ajustement tonique, sa capacité à   sentir et entendre les effets de ses mouvements. Véritable miroir cinétique les   séances de prise de conscience par le mouvement® vont permettre au chanteur de   développer son répertoire de mouvement, d'explorer d'autres variations, d'autres   voies neurologiques, d'autres options afin de se libérer des mouvements   compulsifs, des mauvaises habitudes. Les mouvements exploratoires originaux   seront effectués avec un effort optimal pour affiner la sensation de soi en   mouvement, le sens kinesthésique et pallesthésique sur lequel s'appuie le   chanteur sans souvent en avoir même conscience.  
            Plutôt qu'un travail postural, cette recherche des   coordinations dynamiques associées aux sons va développer chez le chanteur sa   capacité à moduler son geste en fonction du résultat vocal et à contrôler toutes   les tensions musculaires parasites pendant l'émission vocale. 
            Cet apprentissage non linéaire, global et néanmoins méthodique   permet de porter attention à la qualité du mouvement plutôt qu'à un but, au   comment nous faisons pour faire autrement plutôt que pour faire plus.   Progressivement les mauvaises habitudes disparaissent pour laisser place à une   curiosité des conséquences objectives des moindres ajustements corporels sur   l'émission vocale. Cette conscience de soi dans le mouvement en général et le   mouvement chanté en particulier conduit à améliorer sa sensibilité kinesthésique   et permet de mieux contrôler son geste vocal en fonction d'un répertoire, d'un   style, d'un environnement acoustique.
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